
Pour la 30ème édition du prix de la traduction, la Fondation Konishi met les petits plats dans les grands.
La Fondation Konishi pour les Échanges Internationaux qui soutient par son prix les traducteurs d’ouvrages français en japonais et japonais en français, fête sa 30ème édition avec plusieurs événements visant à attirer l’attention sur l’importance du travail de traduction dans les relations franco-japonaises.
Ainsi, entre janvier et juin 2025, six ateliers pratiques de traduction du japonais vers le français et du français vers le japonais ont lieu à Tôkyô, avec le concours de l’Institut français de recherche sur le Japon (IFRJ) à la Maison franco-japonaise (MFJ). Tous les mois, une trentaine de participants (traducteurs ou étudiants japonais et français, amateurs ou spécialistes des littératures française et japonaise, intéressés par l’édition et la traduction) assistent à la conférence d’un lauréat du prix Konishi qui expose son expérience et ses méthodes de travail, puis participent à un exercice collectif de traduction, permettant, chacun à son niveau, d’expérimenter les difficultés mais aussi le plaisir de ce travail trop souvent perçu comme solitaire et laissé dans l’ombre. En janvier, Nozaki Kan, Prix spécial Konishi 2021, a parlé de son travail de traduction de romans contemporains (Jean-Philippe Toussaint en particulier), puis de la retraduction de textes plus anciens ; le travail collectif a porté sur sa nouvelle traduction de Vol de nuit et Terre des hommes d’Antoine de Saint-Exupéry et a ainsi donné lieu à une discussion à propos de la recherche d’équilibre entre fluidité de la langue d’arrivée – le japonais – et fidélité au texte original français : comment l’idée de “littéralité” ne s’oppose pas à la “lisibilité” d’une traduction. En février, Yoshikawa Kazuyoshi, Prix spécial Konishi 2021, a parlé de sa longue expérience de chercheur et traducteur de l’œuvre de Marcel Proust, montrant comment la traduction est une méthode d’approfondissement de la compréhension d’une œuvre ; puis il a proposé une réflexion sur les choix d’écriture qui constituent le “style” d’un traducteur par le biais de la lecture comparative d’extraits de trois traductions de A la recherche du temps perdu : celle d’Inoue Kyûichirô (1909-1999) datant des années 1970, celle de Suzuki Michihiko (1929-2024) des années 1990, et la sienne des années 2010. En mars, Corinne Atlan, Prix Konishi 2003, a présenté son travail de traduction en relation avec la lecture et l’écriture (elle a elle-même publié des romans et essais) puis proposé un travail sur des textes de Murakami Haruki et de Natsume Sôseki. Les intervenants seront ensuite, en avril, Catherine Ancelot, Prix Konishi 2015, à la fois traductrice et interprète, avec un exercice sur Le Tabac et le diable d’Akutagawa Ryûnosuke ; en mai, Myriam Dartois-Ako, Prix d’encouragement Konishi 2015, à présent directrice de l’agence littéraire Bureau des Copyrights Français à Tokyo avec un exercice sur des extraits de romans d’Ogawa Ito Le Restaurant de l’amour retrouvé (voir Zoom Japon n°34, octobre 2013) et La Papeterie Tsubaki (voir Zoom Japon n°83, septembre 2018) ; et enfin Hiraoka Atsushi Prix Konishi 2016, qui a souvent traduit des romans policiers.
Dans la bibliothèque de la MFJ à Tôkyô, se tiennent aussi régulièrement des “Rencontres autour de la traduction franco-japonaise” avec des lauréats du Prix Konishi, sous la forme d’un exposé suivi de questions-réponses avec l’auditoire. (Suzuki Masao lauréat en 2011 pour L’inconnu sur la terre de Le Clézio, Mino Hiroshi en 2023 pour une nouvelle traduction de La Peste de Camus). Une place est également faite aux lauréats du Prix Konishi de la traduction du manga, créé en 2017, avec Sébastien Ludmann distingué en 2018 et Thibaud Desbief en 2019.
Par ailleurs, seront organisés deux colloques. Les 1er et 2 novembre 2025 : L’évolution de la traduction littéraire franco-japonaise ; des classiques à la littérature moderne et aux mangas, avec le concours de la MFJ et de l’IFRJ, dans l’auditorium de la MFJ à Tôkyô, puis, le 7 février 2026 à la Maison de la Culture du Japon à Paris. Cette journée sera conclue par la cérémonie de remise du Prix d’encouragement 2025 à Jean-Baptiste Flamin pour sa traduction française du roman Le Gardien des souvenirs, de Hiiragi Sanaka (voir pp. 18-19) que le jury, composé de la romancière et universitaire Olivia Rosenthal, la traductrice et autrice Corinne Atlan et les professeurs et traducteurs Emmanuel Lozerand et Cécile Sakai, a choisi parmi 5 ouvrages traduits du japonais proposés par le comité de pré-sélection après examen d’une quarantaine de traductions parues entre le 1er janvier 2022 et le 31 mars 2024.
Le Prix Konishi de la traduction du français vers le japonais, pour cette 30ème édition, honore le travail d’un traducteur expérimenté, Chiba Fumio, professeur émérite de l’université Waseda, spécialiste de littérature française, pour sa traduction de Vies minuscules de Pierre Michon (Suiseisha 2023). Pour la première fois au Japon, un Prix d’encouragement est également décerné pour distinguer le défi audacieux relevé par Morisawa Yûichirô pour sa traduction de Guerre de Louis-Ferdinand Céline (Genki Shobô, 2023).
La traduction de Chiba Fumio réussit à rendre le souffle de l’œuvre originale par un décalage subtil du sens des mots utilisés en japonais, travail stylistique devant sans doute beaucoup à l’expérience du traducteur de nombreux ouvrages, dont ceux de Michel Leiris, de Gérard Macé ou des essais sur la musique.
Quant à Morisawa Yûichirô, c’est sans aucun doute son expérience théâtrale (il a découvert Céline en tant que comédien dans la troupe Kaitaisha, dans le cadre d’une série de spectacles basés sur cette œuvre) qui lui a permis de rendre en japonais l’expression souvent argotique, licencieuse, provocatrice du romancier français. Malgré les limites de ce registre dans la langue japonaise, la manière dont il a créé des formulations nouvelles et surprenantes a été particulièrement appréciée. Ce jeune traducteur, dont la maîtrise rend difficile de croire qu’il s’agit d’une première traduction, démontre comment le travail basé sur “l’expérimentation” de la langue autorise l’invention audacieuse d’un style d’écriture unique qui, tout en surmontant les difficultés propres à la traduction de Céline, parvient à en rendre si bien l’univers.
Corinne Quentin
La traduction n’est pas une activité solitaire !
Ce n’est sans doute pas un hasard si les lauréats du Prix Konishi de la traduction du japonais vers le français, et notamment les lauréats du Prix d’encouragement font référence au travail qu’ils ont pu effectuer avec leur éditeur pour que leur traduction atteigne la qualité nécessaire. L’exigence rime le plus souvent avec lisibilité, accessibilité, résultat, au-delà du choix de textes japonais intéressants, d’une collaboration équilibrée entre éditeur et traducteur. Mais l’avis général du jury et du comité de pré-sélection du Prix Konishi est que les traductions proposées récemment n’atteignent pas, dans leur ensemble, le niveau de ce que l’on a pu lire dans les décennies précédentes. On peut se réjouir du nombre croissant de traductions du japonais proposées par des maisons, traditionnelles ou très récemment établies, qui offrent un large éventail de genres aux lecteurs français, mais on ne peut que regretter que cela se fasse semble-t-il parfois au détriment de l’attention portée au travail des traducteurs, surtout quand ils ne sont pas encore très expérimentés : les échanges avec un éditeur, un relecteur, des délais de travail raisonnables, une rémunération décente, sont importants pour favoriser le meilleur résultat possible dans un travail qui semble a priori solitaire, mais qui gagne tant à la collaboration. Concernant les livres dits pour le “grand public”, on remarque une sorte d’uniformisation des textes français. Beaucoup de coupes, d’adaptations qui semblent inutiles, des glissements de sens, sont repérés, de même qu’un manque d’efforts pour tenter de rendre le style ou le rythme du texte japonais, le principal objectif étant de restituer le sens, dans un français dont on ne peut que regretter la monotonie, voire, parfois, les maladresses et les incorrections grammaticales. Les traducteurs ne semblent hélas pas encouragés par les éditeurs à un travail plus approfondi.
Or, les bénéfices d’une bonne collaboration entre traducteur et éditeur sont soulignés par le lauréat 2025 (voir pp.18-19) à propos de son travail avec les éditions Nami, qu’il faut également saluer ici, tout comme, par exemple, les lauréats du Grand Prix et du Prix d’encouragement 2023 (voir Zoom Japon n°129, avril 2023). C’est cette coopération fructueuse que vise aussi le Prix Konishi en attirant l’attention des éditeurs sur “l’importance d’accompagner de nouveaux traducteurs qui formeront, demain, la relève professionnelle de ces passeurs essentiels entre auteurs, éditeurs et lecteurs, entre le Japon et la France”.
C. Q.