Le chef de file du néo-manga présente pour la première fois en Europe son travail dans une exposition exceptionnelle. L’œuvre de Yokoyama Yûichi défie les conventions du manga. Il y a quelque chose d’étrange dans les histoires que ce graphiste et illustrateur crée. Elles ne cessent de surprendre le lecteur naïf qui pénètre involontairement dans son univers. Yokoyama cultive son image de Sphinx qui met en échec les tentatives d’approche intellectuelle de son travail. Fier de ne posséder ni ordinateur ni téléviseur, il préfère pêcher que lire les mangas d’autres auteurs ou enregistrer les conversations qu’il a avec ses amis que d’écouter de la musique. Plus que son caractère original, c’est sa conception nouvelle du manga que les amateurs du monde entier apprécie. Des titres comme Voyage ou Nouveaux corps constituent des expériences visuelles qui procurent des instants de bonheur, en entraînant les lecteurs en dehors des sentiers battus tout en les noyant dans une mer envoûtante de formes géométriques, de machines gigantesques et de paysages urbains tentaculaires. Comment êtes-vous devenu mangaka ? Yokoyama Yûichi : J’ai fait des études de peinture à l’huile à l’université des arts Musashino. Après avoir obtenu mon diplôme, je me suis surtout concentré sur la peinture avant de basculer progressivement vers le manga. Je n’étais guère satisfait de ne travailler que sur une seule toile. L’avantage du manga, c’est qu’il me permettait de développer des histoires. J’apprécie particulièrement le fait que le manga me permet de visualiser l’écoulement du temps. Au début, j’avais un peu de mal à maîtriser l’utilisation des couleurs, ce qui m’a incité à travailler en noir et blanc. Aujourd’hui encore, même si je me sens plus à l’aise avec les couleurs, je pense que j’ai toujours tendance à les utiliser comme le ferait un peintre. Pourtant mon approche générale en ce qui concerne la création d’image est bien celle d’un mangaka. Il y a quatre ans, vous avez dit que le manga était devenu votre principale activité artistique et que la peinture n’était plus pour vous qu’un hobby. Est-ce que votre opinion a évolué depuis ? Y. Y. : Non, pas vraiment. J’aime le fait que le manga ait une dimension multiple dans le sens où il est imprimé en des milliers d’exemplaires et il est lu et apprécié par des lecteurs à travers le monde. C’est important pour moi, car j’ai envie que mes œuvres soient vues par le plus grand nombre de personnes possibles. Par ailleurs, je n’ai pas beaucoup d’intérêt pour la protection de l’art. Prendre soin d’une peinture et la conserver pour l’avenir n’est pas fait pour moi. Je préfère la nature éphémère du manga. Apparemment le peu de succès que vous avez rencontré en peinture a aussi été déterminant dans votre décision de la mettre de côté. Est-ce vrai ? Y. Y. : Lorsque j’avais une vingtaine d’années, j’ai dû participer à quelque 24 compétitions artistiques et pas une seule fois, je n’ai remporté de prix. Si vous ajoutez le fait que le matériel de peinture est très onéreux et que vos toiles invendues prennent pas mal de place, vous comprenez mon choix. Cela dit, de façon ironique, mon succès en tant que mangaka a relancé l’intérêt pour mes autres “œuvres plastiques”. J’ai donc été très heureux de pouvoir réaliser ma première exposition de peinture, il y a quelques années, au musée de Kawasaki. C’est quelque chose que je dois au manga. Vous êtes né dans la préfecture de Miyazaki, sur l’île de Kyûshû, mais vous avez vécu un peu partout dans l’archipel. Est-ce que cette mobilité géographique a eu une influence sur votre vision artistique ? Y. Y. : Je pense que oui. Mon père était un militaire. Nous avons donc souvent déménagé. Cela a contribué à développer mon intérêt pour les paysages et mon constant sens de l’émerveillement que ces paysages m’inspirent. Est-ce que le métier de votre père vous a inspiré à d’autres niveaux ? Y. Y. : Comme la plupart des soldats, il attachait beaucoup d’importance à la forme et aux manières. Il pouvait se mettre en colère contre moi si ma chemise dépassait, par exemple, de mon pantalon. Cela dit, je ne sais pas jusqu’à quel point cela a pu avoir une influence sur moi, mais c’est vrai que j’aime l’ordre dans la nature. Cela me rassure. L’une des caractéristiques les plus frappantes de vos mangas est l’aspect flamboyant de vos personnages. Leurs visages et leurs vêtements ont un côté très étrange. Pourquoi donc ? Y. Y. : ...