Le compositeur Shibuya Keiichirô tente une expérience à Paris. Un opéra d’un genre nouveau qui ne devrait pas laisser indifférent. Le 12 novembre, le Théâtre du Châtelet accueille la première européenne d’un spectacle d’opéra d’un genre nouveau. The End met en scène un interprète qui n’est pas humain : Hatsune Miku, une créature extraordinaire, à la voix synthétique qui parvient à nous toucher au plus profond au milieu d’une musique qui mélange classique, electronica et dance. Gianni Simone Quel est le concept qui se cache derrière The End ? Shibuya Keiichirô : Il s’agit d’un opéra typique dans la mesure où il s’intéresse à la tragédie de la mort. Hatsune Miku prend conscience de sa mort et commence à s’interroger à son sujet. L’histoire s’inspire sans doute de l’opéra classique, mais elle est racontée par le truchement d’une musique et d’images conçues par ordinateur. Comment ont évolué les rapports entre la musique et la technologie depuis que vous avez commencé votre carrière ? S. K. : A mes yeux, l'innovation la plus révolutionnaire a été la possibilité de composer de la musique sur un ordinateur. En 1998, les premiers ordinateurs portables équipés d'un logiciel de musique sont apparus . Cela a permis aux gens de faire de la musique très facilement. C'est pourquoi j’ai tendance à penser que cette innovation est aussi importante que l'invention du piano. Pensez-vous que The End résume la carrière musicale que vous avez accomplie jusqu’à présent ? S. K. : Je suppose que oui. J'ai une formation musicale classique. Mais au début des années 2000, j'ai commencé à travailler de plus en plus avec des ordinateurs pour tenter de combiner ensemble harmonie et rythmes. J'ai passé une bonne partie de la dernière décennie à étudier l'idée de chaos et collaborer avec des experts en systèmes complexes. Après la réussite d’un projet à Berlin, en 2008, je me suis demandé s’il ne fallait pas que je change de direction. A la même époque, j'ai perdu ma femme qui était aussi ma partenaire de création. J'ai donc décidé de mettre de côté les ordinateurs et de revenir au piano, ce que je n'avais pas fait depuis un moment. J'ai commencé à écrire de la musique en guise d’hommage à celle qui m’avait accompagné. Cela a donné naissance à Pour Maria. Vous retrouvez tous ces éléments (piano, electronica, rythmes, etc.) dans The End. Le thème principal de The End est la mort. Je suppose que le décès de votre épouse a eu une influence importante dans ce projet. S. S. : En effet, vous avez raison. Quand ma femme est décédée, la maison s’est retrouvée soudainement silencieuse. Je ne pouvais plus entendre sa voix. The End se déroule aussi dans la chambre de Hatsune Miku qui devient ainsi à la fois un espace privé et public. Cette coïncidence m’a beaucoup attiré. J’ai aussi apprécié la façon dont l’histoire aborde le sujet de la mort. Cela revient à dire que la mort et le sommeil ont des points communs et que la fin peut être un nouveau commencement. Hatsune Miku est un personnage étrange qui occupe un espace entre la vie et la mort. Quel a été votre rapport avec elle tout au long du processus de création ? S. S. : La chose intéressante à propos de Hatsune Miku, c'est qu’il ne s’agit pas d’un personnage issu d’un film d’animation. Nous sommes en présence d’un logiciel informatique. C’est un être artificiel, mais qui possède des qualités très humaines. C’est aussi ce qui la rend si fascinante. A mes yeux, elle est un nouvel instrument. L'époque où seuls les humains pouvaient faire certaines choses est révolue. Parmi elles figure le chant. Vous avez essayé d’éviter au maximum le recours à la musique classique du début à la fin. Vous lui avez préféré des rythmes dansants. Aviez-vous des craintes quant à la réaction du public concernant ces choix musicaux ? S. S. : Pas du tout. J'espère au contraire qu’à l'avenir un nombre croissant...