A l’occasion de la sortie attendue du film Saudade, Tomita Katsuya et le scénariste Aizawa Toranosuke racontent leur Japon. Entièrement auto-produit, Saudade commence dans une langueur toute brésilienne et nous entraîne peu à peu dans l’univers fermé des immigrés sur fond de hip-hop et de bruits de marteau-piqueurs. Le nouveau film de Tomita Katsuya au titre plein de mélancolie a été présenté dans plusieurs festivals européens. Le long de la Nationale 20, qui relie Tôkyô à la préfecture du Yamanashi, les personnages, aussi réels dans la vie qu’à l’écran, évoluent dans une ville de campagne transformée en centre commercial où leurs seules alternatives de travail sont les chantiers, les bars à hôtesses et le pachinko [jeu électronique qui consiste à faire glisser des billes de fer]. A travers le destin d’Amano, un jeune rappeur qui rempli des sacs de sable et tourne sa frustration contre les immigrés, on découvre la vie des nikkei, les Nippo-Brésiliens, descendants de Japonais de la troisième génération. Dans le huis-clos d’une ville fantôme aux rideaux de fer toujours descendus, il y a aussi les filles thaïs embauchées dans des “pubs” pour concurrencer les bars à hôtesses made in Japan. En abordant le thème de l’immigration féminine, Tomita nous fait pénétrer dans le monde flottant du mizu shôbai ou “commerce de l’eau”. Il fait ainsi un pied de nez à l’univers glauque du business de la spiritualité à travers un trafic d’eau de source qui “désintoxique” . Pris au piège dans les zones grises d’un système où ils resteront toujours des marginaux, les personnages vont se croiser sans jamais vraiment se comprendre. De la nostalgie du pays natal à la haine de l’étranger, Saudade se savoure comme un bon morceau de hip-hop, “un cocktail où se mêlent le sang, les larmes et la sueur”. Alissa Descotes-Toyosaki Saudade se déroule dans votre ville natale du Yamanashi, est-ce-qu’elle est particulière au Japon ? Tomita Katsuya : Non, l’histoire aurait pu se passer dans n’importe quelle autre petite ville. Le décor y est le même, l’histoire aussi. La vie sociale des campagnes s’est organisée autour de la voiture il y a longtemps, mais depuis le milieu des années 90, avec la pression des Etats-Unis et la globalisaton, certaines lois qui jadis empêchaient la construction tous azimuts ont été abrogées. Cela a entraîné un changement radical dans le paysage rural. Les grands centres commerciaux le long des routes se sont developpés et les quartiers autour des gares, jadis pleins de vie, se sont transformés en espaces fantômes. Vos acteurs interprètent presque tous leur propre quotidien et vivent dans cette ville , vous vous connaissiez tous avant le film ? T. K. : Oui, les deux personnages de Seiji et Bing sont des vieux amis de l’école primaire. Ils continuent à travailler dans les chantiers. Le rappeur Dengaryu qui joue Amano est aussi un “freeter”, un travailleur à temps partiel, tout comme Aizawa ! Moi-même, je voulais devenir musicien de punk rock, mais ça n’a pas marché. Du coup, je suis devenu camionneur. D’ailleurs je continuais à exercer ce métier pendant le tournage de mon film, mais on m’a retiré le permis. J’étais trop fatigué et je me suis fait flasher par un radar. Au Japon, la situation du cinéma indépendant est-elle vraiment critique ? T. K. : Oui, c’est de pire en pire. Contrairement à la France, il n’existe pas de subventions pour les auteurs indépendants et les artistes en général. Aizawa Toranosuke : En fait, on vous aide seulement si vous êtes connus ! Cela nous a obligé à nous autofinancer et cela a été très difficle. T. K. : Mais grâce à la présentation du film à l’étranger, nous avons été vraiment récompensés de nos efforts. Je pense que les artistes doivent utiliser tous les moyens qu’ils ont pour se faire connaître, sans rien...