Je rêvais de vivre en France et j’y suis arrivée à l’époque où il n’y avait ni Internet, ni SMS, ni les moyens de payer le coût des appels internationaux. Mon seul moyen de communiquer avec mes proches au Japon était de leur écrire une lettre. Naturellement, le bureau de poste m’est devenu un lieu familier. C’est là, pour la première fois, que j’ai découvert la french attitude : « Au guichet, on ne se dépêche pas, même s’il y a la queue ». Je ne comprenais absolument pas pourquoi les gens bavardaient avec leur guichetier, sans se gêner, en faisant attendre les autres personnes. Au Japon, on nomme ce genre de personne avec un grand mépris KY (ké-waï), abréviation de Kûki Yomenai, qui se traduit littéralement : « Ne pas savoir lire l’ambiance ». Il s’agit donc de celui qui ne tient pas compte des attentes des personnes autour de lui. Alors, chaque fois que je me trouvais en tête d’une queue, je me posais la question : faut-il être KY pour mieux vivre dans ce paradis des KY ? Pourtant, bavarder avec un guichetier à la poste est tellement symbolique. A vrai dire, je rêvais de le faire et d’être cette dame âgée, la reine du quartier, qui se fait plaisir en prenant le temps de raconter sa vie.
Avec Internet, je ne vais plus que rarement à la poste. Récemment, je m’y suis rendue pour envoyer un mandat postal international. Étant donné que c’était une première, j’ai dû remplir le formulaire avec l’aide de l’agent au guichet. Alors que je cochais les bonnes cases, il m’a demandé la signification de mon nom de famille, car ce dernier est identique à une marque de vélo hollandais qu’il aime bien ! Nous avons ainsi discuté tranquillement malgré la queue derrière moi. Suis-je enfin devenue KY ?! … ou pas. Je n’ai ressenti aucune pression venant des gens autour de moi. Au final, dans ce pays, il est peut-être inutile de se préoccuper du temps des autres ?… ou, à bien y réfléchir, j’ai simplement atteint un âge me permettant de faire ma reine ?!