Depuis des années, le gouvernement cherche à revitaliser les régions. Mais ses méthodes sont dépassées.
Fin 2014, le gouvernement d’Abe Shinzô a proposé la création de nouveaux types de subventions que les autorités locales pourraient utiliser à leur propre discrétion pour promouvoir des mesures susceptibles d’enrayer le déclin démographique et de relancer les économies régionales. La proposition fait partie d’une stratégie globale sur cinq ans destinée à la revitalisation régionale dont le but, comme l’a dit le Premier ministre, est d’aider les gouvernements locaux à “penser, agir et lancer des réformes de leur propre chef.” Alors que tout le monde s’accorde pour dire que les autorités centrales et locales doivent faire quelque chose pour inverser la migration apparemment sans fin de la province vers les grandes villes, il semble y avoir peu d’accord sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.
L’un des critiques les plus virulents à l’égard de la politique gouvernementale en la matière s’appelle Sasaki Nobuo, professeur à la Faculté d’économie de l’Université Chûô. Ancien fonctionnaire de la ville de Tôkyô, il s’est spécialisé dans l’administration publique et l’autonomie régionale. Il a contribué au débat en cours à travers plusieurs ouvrages parmi lesquels figurent Gendai chihô jichi [collectivités locales modernes] et Jichitai wo Ne Kaeru ka [Comment transformer les collectivités locales]. Comme il l’a écrit dans sa chronique régulière publiée dans l’Asahi Shimbun, il n’y a rien de nouveau dans l’initiative d’Abe. La politique de revitalisation régionale est “un vieux truc que le Parti libéral-démocrate (PLD) réutilise tous les dix ans sous une forme ou sous une autre. En fait, le PLD recycle les mêmes mesures localement ciblées depuis près de 70 ans”. Au cours des 25 dernières années, les gouvernements Takeshita (1988), Obuchi (1999) et Aso (2008) ont tous proposé des politiques de ce genre sous des noms différents, mais dont les contenus étaient sensiblement similaires. Et ils n’ont apparemment pas réussi à arrêter le déclin régional. Même après la mise en œuvre des mesures de relance économique tant vantées du gouvernement Abe, l’économie réelle du Japon a stagné. Pire encore, plusieurs études montrent que cinquante pour cent des municipalités du pays devraient disparaître d’ici 2040. Alors, quel est le problème de ces politiques de revitalisation finalement si inefficaces ?
Selon le professeur Sasaki, jusqu’à présent, la priorité a surtout été donnée au développement d’infrastructures destinées à raccourcir les déplacements plus courts et favoriser la décentralisation. Mais on ne s’est pas occupé du reste. “Vous pouvez brandir l’étendard de la revitalisation régionale tant que vous voudrez, mais ces politiques ne permettront pas de créer un environnement favorable à l’industrie locale, à la création d’emplois et à l’enracinement des jeunes si l’ensemble des éléments importants de la société – politique, administration, économie, information, éducation et culture – restent concentrés à Tôkyô”, martèle-t-il.
Alors que certaines personnes estiment que la revitalisation régionale et les réformes structurelles de l’Etat sont des choses séparées, Sasaki Nobuo affirme que les deux questions sont liées. “Nous ne pouvons pas dire qu’il faut aller de l’avant si le mode de prise de décision et le contrôle centralisé demeurent dans l’état actuel”, dit-il. D’après lui, un des problèmes majeurs est le “manque de relations concurrentielles au sein même du pays et l’absence de motivation des régions pour se lancer par elle-même dans une phase de revitalisation”. Pour s’en convaincre, il rappelle qu’en dépit des slogans gouvernementaux, l’Etat a conservé la structure de gouvernement verticale du Japon, en vertu de laquelle le rythme et les moyens alloués au développement économique dépendent largement du pouvoir central. En conséquence, les régions ont appris à compter sur le gouvernement central pour tout.
Le système actuel des 47 préfectures a été mis en place il y a 140 ans dans le but de construire une administration centralisée. La croissance économique de l’après-guerre peut être attribuée à ce système centralisé qui a unifié les services publics. L’objectif à l’époque était d’assurer un certain niveau minimum de subsistance pour tous les citoyens. Mais cela a favorisé la disparition de l’autonomie régionale. Toutefois, selon le professeur Sasaki, ce système est maintenant obsolète et ses effets négatifs sur la société japonaise dépassent de loin ses avantages.
Se pose d’abord la question de la responsabilité de l’administration. Selon le modèle en place actuellement, le gouvernement central définit la politique dont les gouvernements locaux vont gérer la mise en œuvre. Toutefois, les deux parties partagent la responsabilité du résultat. Il s’agit d’une zone grise où il est difficile de déterminer la part de chacun, ce qui donne lieu à des mensonges lorsqu’il s’agit de trouver un responsable en cas de problème. En outre, les gouvernements locaux ne peuvent répondre de façon adéquate aux besoins locaux, car ils disposent d’une marge de manœuvre très étroite. Cela a favorisé la création de services administratifs inefficaces.
Selon Sasaki Nobuo, ce système devrait être remplacé par une nouvelle organisation fondée sur dix grands blocs régionaux (dôshûsei) auxquels le gouvernement transférerait une grande partie de l’autorité et du contrôle sur les revenus liés à la politique intérieure. Ce que le professeur envisage est une société horizontale et concurrentielle sous la forme d’une autonomie régionale plus grande, ce qui aurait aussi l’avantage supplémentaire de réduire le gaspillage des ressources. L’échelle de l’économie japonaise est telle que les sept préfectures rassemblées sur l’île de Kyûshû sont comparables aux Pays-Bas, les six préfectures de la région du Tôhoku sont comparables à la Suède, tandis que Tôkyô et sa région peuvent être comparées au Royaume-Uni. Par exemple, “si Kyûshû devait fonctionner comme un seul bloc régional, l’île pourrait très bien atteindre un taux de croissance de 1,2 fois celui des Pays-Bas en moins de 10 ans”, estime le professeur Sasaki. Pour ces petites entités, il serait à la fois plus facile de s’adapter à la concurrence avec les autres blocs, mais aussi de suivre plus aisément le rythme d’évolution de l’économie mondiale qui évolue rapidement.
Évidemment une réforme structurelle de cette ampleur exige beaucoup de temps et d’énergie. Mais il est persuadé que le Japon ne pourra pas résoudre ses problèmes locaux avec des mesures à court terme.
Jean Derome