En venant en France je rêvais de pouvoir m’exprimer sans cacher mes sentiments les plus profonds. En la matière, presque chaque Français est mon modèle. On se moque souvent des Japonais, en disant qu’ils sont un peuple qui ne sait pas dire non ou qui sourit dans toutes les situations en baissant la tête. Ce n’est pas tout à fait faux ! Au début de mon séjour en France, lorsque j’étais invitée chez des copains parisiens, ils me demandaient si je voulais boire quelque chose. Je répondais alors avec hésitation « ah oui, ah mais non mais merci mais… « . Dans mon pays, on sert à boire sans demander l’avis des invités ou on leur propose directement un choix de boissons. L’hospitalité ne se manifeste pas de la même manière en France. Par la suite mes copains m’ont dit « oui – non ou merde ?!! » Cette phrase s’est gravée et désormais j’ai appris à m’exprimer en gardant à l’esprit que j’ai « merde » comme dernier atout.
Or mon souci n’était pas résolu. En France oui ou non ne suffit pas. Si l’on n’a pas d’opinions, on n’existe pas. A l’école, si on ne dit mot, on n’est pas noté. Avec des amis, si je ne parle pas, on m’oublie. Dans mon ancien travail, lorsque j’ai protesté à la suite d’une injustice commise par mon patron, celui-ci m’a dit : « j’étais jusqu’à présent satisfait de toi qui étais une Japonaise toute calme. Je suis maintenant déçu que tu sois devenue Française ». Depuis, je m’affirme pour ne pas être victime des préjugés liés à mon origine. Pourtant, depuis le 11 mars, beaucoup de médias admirent le calme et la pudeur des Japonais face à la douleur occasionnée par les catastrophes et ils nous demandent d’où cela vient. Je réponds donc : cela existait déjà lorsque vous vous en amusiez ! Moi, malgré la façon de m’en sortir à la française, si je me trouve confrontée à un désastre en France, je pense que je me comporterai comme ces Japonais, c’est ma nature et j’en suis fière. Mais je n’oublierai pas non plus de prendre mes papiers si je dois aller me réfugier quelque part. Obligée !
Koga Ritsuko