Les magazines féminins japonais ont connu différentes phases historiques. La première, qui couvre la première moitié du XXe siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a vu l’apparition de mensuels tels que Fujin Gahô (1905), Fujin Kôron (1916), Shufu no Tomo (1917) et Fujin Kurabu (1920). A l’exception du très libéral Fujin Kôron, ces publications visaient à éduquer les femmes sur la façon d’être “de bonnes épouses et des mères avisées”.
Dans la période de l’immédiat après-guerre à la première moitié des années 1950, le Japon a connu une reprise économique rapide et la population a commencé à aspirer à une vie matérielle meilleure. De nouveaux magazines tels que Shufu to Seikatsu (1946) et Fujin Seikatsu (1946) ont abandonné l’approche éducative de leurs prédécesseurs pour se concentrer sur la fourniture de conseils pratiques liés aux divers aspects de la gestion du ménage, avec un recours croissant à la photographie.
Par la suite, et jusqu’à la fin des années 1960, on assiste à l’apparition d’hebdomadaires axés sur la vie privée des personnalités publiques. Cependant, la principale tendance de cette période est la naissance de magazines féminins plus ambitieux qui font rêver à une vie plus riche. Ces titres, qui portaient souvent des noms étrangers comme Misesu (Misses) ou Madamu (Madam), ont commencé à montrer à leurs lectrices comment profiter de la vie. Alors que les magazines d’autrefois apprenaient aux femmes à fabriquer des robes, les nouvelles publications insistent sur l’achat de celles-ci. Le changement est d’autant plus visible à travers le type de publicités présentes dans ces magazines : les produits ménagers ont commencé à être remplacés par la mode, les accessoires et les loisirs, les lectrices étant de plus en plus considérées comme des consommatrices individuelles.
La première d’entre elles est Katei Gahô. Lancé en 1958, ce périodique s’adressait alors aux femmes au foyer appartenant à la classe moyenne supérieure dans la quarantaine dont les enfants étaient au moins adolescents, ce qui leur donnait plus de temps à consacrer aux plaisirs esthétiques de la cuisine, de la mode et de leur intérieur. Le magazine a été fortement influencé par le magazine américain Life et lorsqu’il est apparu, il a fait forte sensation. A l’époque, il n’existait pas de magazines vraiment visuels sur le marché japonais. Katei Gahô se distinguait par un style particulièrement luxueux et orienté vers la tradition, lui accordant un caractère exclusif, sophistiqué et socialement élevé. Il incarnait également un exemple typique du rôle joué par certains médias dans la préservation de la culture traditionnelle. Les femmes étaient considérées comme les gardiennes des arts traditionnels, comme la cérémonie du thé ou l’arrangement floral. Cela ne manque pas d’intérêt dans la mesure où ces arts étaient autrefois pratiqués par des hommes (même des samouraïs) et possédaient un caractère très masculin. Les femmes présentées dans les pages de Katei Gahô semblaient vivre dans un passé idéalisé car elles portaient souvent un kimono, vêtement qui, à cette époque, ne servait que dans de très rares occasions. A cet égard, le magazine peut être considéré comme un bastion du conservatisme. C’était aussi l’époque où les jeunes femmes étaient encouragées à s’intéresser à ces passe-temps autrefois réservés à l’élite afin d’accroître leur valeur sur le marché du mariage, les préparant à ce que les sociologues culturels Lise Skov et Brian Moeran ont appelé “une vie conjugale ennuyeuse et oisive”. En effet, aujourd’hui encore, bien qu’il ne soit plus nécessaire de maîtriser les arts traditionnels pour trouver un mari, c’est grâce aux femmes qu’ils survivent dans les nombreux centres culturels disséminés dans tout l’Archipel.
Les années 1970 marquent une révolution dans l’univers de l’édition avec l’apparition de magazines tels que An An (1970), Non-No (1971), MORE (1977) et Kurowassan (Croissant, 1977). Le Japon connaissait une période de forte croissance économique et les catégories sociales traditionnelles commençaient à s’effriter à mesure que le nombre de femmes au travail augmentait de façon spectaculaire. De simples membres de la famille, les femmes ont commencé à être considérées comme des individus ayant leurs propres besoins et intérêts, et comme leur revenu disponible ne cessait de s’accroître, elles ont commencé à s’intéresser aux voyages et aux sorties aux restaurants, poussant les nouvelles publications à consacrer plus d’espace à ces sujets. Des titres comme Kurowassan (Croissant) ont été étiquetés comme “nouveaux magazines familiaux”, le terme faisant référence à la “génération du baby-boom” qui entrait alors dans la vingtaine et devait former un nouveau type de famille.