“Depuis Still Walking (Aruitemo aruitemo, 2009) et jusqu’à Après la tempête (Umi yori mo mada fukaku, 2016), je m’étais attaché à restreindre le périmètre d’observation des sujets que je traitais dans mes films. Il s’agissait plutôt de thématiques proches du journalisme. J’étais plutôt dans la sphère de l’intimité, de mon quotidien. J’avais l’impression d’être arrivé au bout d’un cycle et comme à l’origine je viens du journalisme et du documentaire, j’ai eu envie de revenir à un périmètre plus large. Parmi les thèmes qui m’intéressaient, celui du jugement des hommes par les hommes, notamment dans une société japonaise qui applique encore la peine de mort, m’a interpellé et j’ai donc voulu l’aborder”, explique Kore-Eda Hirokazu pour justifier sa décision d’abandonner son observation de la famille dans ses films.
Mais que les amateurs de son style se rassurent, le cinéaste aborde ce sujet grave avec la subtilité qu’on lui connaît. En s’entourant de techniciens avec lesquels il a travaillé à plusieurs reprises comme le chef opérateur Takimoto Mikiya ou le chef éclairagiste Fujii Norikiyo qui ont réussi à créer une ambiance presque “religieuse” dans les scènes de procès et au parloir grâce à un éclairage parfaitement dosé et des cadrages tout aussi millimétrés, Kore-Eda nous livre une belle réflexion sur la difficulté de juger les crimes, y compris quand la culpabilité ne fait aucun doute, et surtout de leur appliquer la peine la plus juste notamment lorsqu’il s’agit d’un meurtre.
Pour entraîner le spectateur dans sa réflexion, le réalisateur a choisi une belle brochette d’acteurs. Parmi eux, Yakusho Kôji avec qui il travaillait pour la première fois dans le rôle de Misumi, l’accusé, fait une nouvelle fois la démonstration de son immense talent face à son avocat Shigemori interprété avec brio par Fukuyama Masaharu que l’on avait découvert dans Tel père, tel fils (Soshite chichi ni naru, 2013). Il est d’ailleurs intéressant de le retrouver dans ce film dans la mesure où la thématique du père, si chère au cinéaste, n’est pas du tout absente de The Third Murder. C’est ce qui d’ailleurs permet de ne pas totalement couper le lien avec la filmographie de Kore-Eda. Dans ce film, il évoque à de nombreuses reprises l’absence du père ou bien sa défaillance comme s’il voulait à travers son cinéma exorciser son propre passé. “Je suis incapable d’écrire le rôle d’un père fort puisque je n’en ai pas eu autour de moi ou d’exemples autour de moi quand j’étais enfant”, confie-t-il. “Et puis, je n’aime pas les machos. Je n’arrive donc pas à écrire de tels personnages comme ça. Il est inscrit en moi que le père est un être défaillant. C’est l’image que je me fais du père”. Cette dimension ajoute une couche à la thématique du jugement qui sous-tend ce magnifique film d’autant que la défaillance du père ne signifie pas pour autant qu’il n’est pas concerné. Bien au contraire, c’est d’ailleurs ce que démontre l’attitude de l’accusé pendant tout le film. A ne pas manquer.
The Third Murder (Sandome no satsujin) de Kore-Eda Hirokazu, avec Fukuyama Masaharu, Yakusho Kôji et Hirose Suzu. 125 mn. En salles le 11 avril.