Asako maîtrise l’art de composer des sculptures vivantes avec des fleurs fraîches et divers éléments tirés du monde végétal. Du 9 au 14 septembre 2022, l’exposition Moments d’éclosion organisée à l’Espace Sorbonne 4 proposait une incursion immersive parmi plusieurs compositions originales, dont l’une conçue en écho à une calligraphie de Yoko WATASE, artiste invitée. Avec elle, un instant de poésie a jailli dans le cœur historique de Paris.
Née à Tôkyô où l’art floral est très populaire, c’est pourtant à l’étranger qu’Asako se passionne pour la chose et entreprend de se former. Elle passe un diplôme en Angleterre et suit en parallèle les cours d’enseignants qu’elle admire pour développer sa touche personnelle.
Son travail consiste à hybrider les styles et les cultures, mixant l’art floral occidental avec des influences tirées de l’ikebana, propre au Japon.
L’ikebana, également connu sous le nom de kadô qui signifie « la voie des fleurs » ou «l’art de faire vivre les fleurs », est un art traditionnel de la composition florale le plus souvent intégré à la cérémonie du thé. Il est abordé avec une discipline et une spiritualité qui le distinguent de la dimension décorative attribuée à l’art floral en Europe. « Dans les lycées au Japon, il y a des clubs d’ikebana, surtout pour les jeunes filles. De mon côté, j’ai appris les techniques en Angleterre, ce qui m’a permis d’avoir un regard différent. J’essaie de constituer un entre-deux, un mélange qui emprunte à l’ikebana sa philosophie, son état d’esprit. En même temps, je fonctionne de manière très intuitive, à l’écoute de mes émotions et envies, tandis que l’ikebana est très codifié » explique Asako.
Bouquets, fresques murales, paysages miniaturisés, sculptures et architectures florales grandeur nature… Pour Moments d’éclosion à l’Espace Sorbonne 4, la créatrice met en scène l’art floral dans toute la variété des formes qu’il peut prendre, avec subtilité et finesse.
Pièce maîtresse de l’exposition, la grande installation Les Portes de la sensibilité, assemblée d’un bloc végétal, de fleurs aux tons purs et éclatants, de tiges s’étirant vers le ciel ou aspirant au sol, qui forment dans leur mouvement des cascades vertes – un véritable feu d’artifice naturel, débordement de vie. La composition florale s’incorpore, comme en lévitation, au centre d’un cercle métallique. Elle évoque une arche, une porte secrète qui permet de transiter d’un monde à l’autre, entre le visible et l’invisible, le rationnel et le sensible. Asako la conçoit « à l’image de la vie, effervescente ». Tout en elle est vivant. Ainsi, la forme sphérique figure le monde, mais aussi la plénitude. Cette partie de l’exposition établit une correspondance avec l’idée de floraison, d’éclosion. Elle fait surgir le vivant dans toute son exubérance, son désir, son éclat. Mais aussi son mouvement paradoxal, cyclique, qui relit les contraires : passé et avenir, ou encore vie et mort. Car au fil des jours, les fleurs et végétaux se flétrissent, changent de formes, perdent leurs couleurs… Bientôt, ils se mélangeront indistinctement à la terre brune et compacte. Le changement d’état induit par l’utilisation de matières organiques est un enjeu à part entière de l’art floral tel que l’envisage Asako. C’est pourquoi l’on peut parler avec elle d’exposition vivante.
Aux murs de la galerie, on retrouve également la série Passé (les temps révolus), tableaux en 3D réalisés à partir de fleurs stabilisées. L’artiste explore cette fois les facettes plus sombres de la vie, travaillant à partir de fleurs « mortes » dont l’aspect a artificiellement été sauvegardé, mais toujours avec beaucoup d’élégance, de résignation et une note d’espoir puisque le sublime subsiste malgré le passage du temps. Elle invite à accueillir l’âge, l’élan vital parvenu à maturité, avec des œuvres sous forme de memento mori sublimés.
Exposée dans une troisième partie de la galerie, la calligraphe Yoko WATASE a réalisé une fresque calligraphiée (Mots vers l’éternité). Dessinée avec un seul pinceau, son mouvement abstrait incarne la force, la respiration, la liberté. Evoquant une vague, un nuage ou bien un tissu froissé, on l’imagine aisément dans son élan se poursuivre sans limite, par-delà la feuille où il est tracé. Plein de mots et de pensées-éclair qui n’ont jamais été dits, ont été incrustés dans ses courbes. Comme si l‘esprit s’était déchargé de leur poids, ils semblent à présent s’envoler.
Yoko WATASE a défini les lignes qui composent son dessin en regardant la forêt. Pour Asako, cette manière dont la nature nous insuffle la création est tout simplement un « miracle ». Elle-même s’est ensuite inspirée de la calligraphie pour créer une œuvre végétalisée qui lui réponde.
Moments d’éclosion rassemble de nombreuses merveilles, comme des équinacées, dénichées au marché de Rungis le matin du vernissage. Dominent les tons blancs et verts, dans un souci de simplicité, de sobriété. Pour la créatrice, « le plus beau est la nature elle-même, car celle-ci est parfaite ». A ses yeux, sa mission en tant qu’artiste florale est de la faire surgir dans des lieux inattendus. La nature se trouve sanctifiée, appelée, désirée et réinstaurée là où elle n’avait plus sa place. Dans les métropoles, les intérieurs des maisons, les bureaux…
En tout, Asako nous confie qu’il aura fallu pour l’exposition dix heures de montage. Un moment qu’on imagine aussi fastidieux que d’effusion créative. Toutes les compositions se répondent, créent des chemins aussi attentifs au monde que contemplatifs, portés vers l’intériorité.
Les compositions florales d’Asako sont respiration, le tracé du geste de Yoko WATASE est respiration, tout comme les plantes dans la nature créent oxygène et respiration par la photosynthèse.
En contrepoint aux natures mortes inertes, statiques, des peintres hollandais, Moments d’éclosion est une ode, un poème vivant à la vie. Tout en révélant l’instabilité, la fragilité de l’existence, Asako la considère sous un beau jour, un regard plein de quiétude. « Dans la culture japonaise, on respecte beaucoup la nature. C’est sûrement lié au shintoïsme qui considère qu’en toute chose – dans une fleur, dans le ciel, dans un arbre – il y a un esprit ». Ainsi, elle invite à admirer plutôt que craindre le mouvement nécessaire du temps.
Aujourd’hui artiste florale consacrée par plusieurs prix (Grand Prix du Flower Art Showcase Award in TOKYO MIDTOWN, Lauréate du Florever Web Contest, Grand Prix de Céret…), Asako exerce son métier en réalisant des compositions sur demande, avec un carnet de commandes bien rempli.
La créatrice espère également voir fleurir de nouveaux projets d’exposition, occasion pour elle d’exprimer sa personnalité et laisser libre cours à sa création. C’est déjà la seconde fois qu’elle présente son travail en France, la première ayant été en 2019 dans la ville catalane de Céret. Elle participe ces 18 et 19 septembre, à Tours, au Salon Novafleur qui met à l’honneur plusieurs créateurs japonais et leur vision de la composition florale.
Texte : SCHAEFLE
Créations florales d’Asako : https://www.instagram.com/abooflowers/