Originaire de l’île Shôdoshima, au large de Shikoku, la jeune femme est la seule sommelière spécialisée dans le shôyu. Kuroshima Keiko est née à Hishio no sato sur l’île de Shôdoshima et a choisi d’en faire la promotion. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Il existe quatre grandes zones de production de sauce soja au Japon. L’une d’entre elles est située à Shôdoshima, une île paisible de la mer Intérieure comptant environ 30 000 habitants, et plus précisément dans un district devenu célèbre sous le nom de Hishio no Sato (le village de la sauce soja, voir pp. 26-29). Les habitants de l’île ont commencé à fabriquer du shôyu il y a plus de 400 ans, au début de la période Edo, et l’industrie locale s’est tellement développée qu’entre 1878 et 1886, on y recensait environ 400 brasseurs.“Shôdoshima a eu la chance de bénéficier à la fois d’un emplacement et d’un climat idéaux pour la fabrication du shôyu”, explique Kuroshima Keiko, l’une des trois sommeliers de la sauce soja au Japon, qui est née à Hishio no Sato. “Tout d’abord, notre climat chaud et sec et notre air pur sont particulièrement adaptés à la croissance de la moisissure kôji et à la maturation du moromi de la sauce soja, qui sont essentiels pour faire un bon shôyu. L’île est également idéalement située entre le port commercial de Sakai, à Ôsaka, et l’île de Kyûshû, productrice de soja et de blé.”Le transport maritime était très développé à cette époque, car il était considérablement plus pratique que le transport terrestre, et les habitants de Shôdoshima ont pleinement profité de la situation. Pour commencer, comme l’île ne dispose que d’une étroite surface de terre arable, insuffisante pour cultiver du riz, ils fabriquaient plutôt des nouilles sômen et du sel. Ces ingrédients étaient ensuite exportés à Kyûshû en échange de graines de soja et de blé, qu’ils utilisaient pour fabriquer de la sauce soja. Le produit fini était ensuite expédié vers le Kansai et les grandes zones de consommation de Kyôto et d’Ôsaka.Kuroshima Keiko a grandi entourée de brasseurs et a littéralement baigné dans la culture du shôyu toute sa vie. “Personnellement, j’avais un lien profond avec la sauce soja car mon père travaillait pour un fabricant, et jusqu’à la génération de mon grand-père, ma famille avait une brasserie moromi. Les rues où je jouais étaient bordées de brasseries et d’usines de tsukudani (fruits de mer mijotés dans du shôyu et du mirin), et je connaissais très bien tous ces gens. Ces brasseries ont été construites pendant la période Meiji et beaucoup d’entre elles sont encore en activité aujourd’hui. En effet, Shôdoshima abrite la plus grande collection de bâtiments de brasseries de sauce soja pré-modernes du Japon”, raconte la jeune femme. Le bâtiment qui abritait la brasserie appartenant à la famille de Kuroshima Keiko est toujours debout. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon La sauce soja était peut-être dans son sang, mais elle voulait suivre une voie différente, plus artistique. “Depuis que je suis enfant, j’aime faire des dessins, et même au lycée, j’ai suivi d’une seule traite mes penchants créatifs. Je n’avais aucun doute sur le fait que je voulais être une artiste, alors je me suis inscrite à l’université d’art et de design de Kyôto”, confie-t-elle. Mais finalement, l’attraction du shôyu a été trop forte. “La première fois que j’ai réalisé l’importance du rôle de la sauce soja dans la vie et la culture de Shôdo-shima, c’est lorsque j’étais en troisième année d’université et que je travaillais sur mon projet de fin d’études. Je voulais trouver un sujet que je sois la seule à pouvoir traiter et qui ait une sorte de valeur sociale. Je suis donc retournée dans ma ville natale. J’ai passé les six mois suivants à parler aux gens et à faire des recherches dans la littérature sur Shôdoshima, mais je n’arrivais pas à trouver le bon angle. J’ai donc commencé à visiter les brasseries que j’avais évitées jusque-là. D’une certaine manière, je me sentais gênée d’aborder mes voisins, qui me connaissaient depuis mon enfance et étaient comme des parents pour moi. Mais finalement, j’ai pris mon courage à deux mains et je leur ai demandé de me laisser les interviewer”, raconte-t-elle.C’est en parlant à ces personnes que Kuroshima Keiko s’est rendue compte que leur situation commerciale était loin d’être bonne et qu’elles luttaient constamment pour maintenir leur petite entreprise à flot. Au plus fort de la production, il y avait peut-être 400 producteurs sur l’île, mais l’âge d’or de Hishio no Sato était terminé depuis longtemps et il ne restait plus qu’une vingtaine de brasseries.“La fabrication de la sauce soja est la pierre angulaire de Shôdoshima. La politique et l’économie de l’île ont été dirigées par des gens qui ont fait fortune avec la...