Le dernier film de Hara Keiichi sort le 16 novembre. Le réalisateur raconte son envie de faire des œuvres réalistes.
Pourriez-vous revenir sur la génèse de Colorful ?
Hara Keiichi : Alors que j’étais encore en train de travailler sur mon précédent film Un Eté avec Coo, celui qui est devenu par la suite le patron du studio Sunrise s’est présenté à moi, en me demandant de lire le roman de Mori Eto et en m’expliquant qu’il souhaitait que je me charge de l’adapter.
Sunrise est connu pour ses films d’action et de robots. Cela ne vous a-t-il pas étonné qu’il vous contacte pour un film qui n’a rien à voir avec cet univers ?
H. K. : C’est vrai. J’ai été étonné par leur démarche. Je me suis demandé si les responsables du studio voulaient me proposer de faire un film de robots, chose pour laquelle je ne me sentais absolument pas préparé. Cela dit, j’ai été tout aussi étonné de découvrir que quelqu’un chez Sunrise voulait adapter depuis longtemps ce livre.
Une nouvelle fois, vous exprimez avec Colorful votre attachement à produire des films réalistes. Comment expliquez-vous ce besoin d’ancrer vos films dans la vie réelle ?
H. K. : J’attache effectivement beaucoup d’importance à la réalisation de scènes issues de la vie réelle. Je les travaille d’ailleurs avec minutie. Je pense que cette envie s’explique par l’influence que de nombreux films et réalisateurs ont eu sur moi. J’ai apprécié chez eux leur souci du détail dans les tranches de vie qu’ils ont rapportées et je crois que cela me pousse aujourd’hui à recréer des situations semblables pour donner au spectateur de quoi réfléchir sur leur propre existence. J’aime ce genre de films, car ils en disent long sur la société dans laquelle nous évoluons et la façon dont nous y participons.
Quels sont justement les réalisateurs qui vous ont influencé ?
H. K. : Je peux citer bien sûr les plus connus comme Ozu ou Mizoguchi. Mais de loin, celui que je préfère est Kinoshita Keisuke avec 24 prunelles (1954) ou Un Amour éternel (1960).
Dans Colorful, Makoto, le personnage principal, est un être tout à fait ordinaire. Est-ce que cela n’a pas gêné le producteur Sunrise ? N’attendait-il pas quelque chose d’un peu plus fantastique ?
H. K. : Je dois dire que les gens de Sunrise m’ont laissé carte blanche par rapport à ce projet. Ils ne sont jamais intervenus pour me demander d’avoir des personnages plus comme-ci ou plus comme-ça ou encore pour obtenir de moi que je mette plus d’action. Par ailleurs, celui qui était en charge du character design chez Sunrise est la personne qui m’a amené le projet Colorful et qui tenait à ce que je le réalise. C’est elle qui m’a présenté Yamagata Atsushi, le character design. Il y a tout de suite eu une très bonne entente entre nous.
Ce qui frappe dans ce film, c’est le soin que vous apportez au décor. Vous avez l’habitude de choisir des lieux qui existent vraiment.
H. K. : En effet, c’est quelque chose qui caractérise la plupart de mes films. Dans le cas de Colorful, lorsque j’ai commencé à réfléchir au décor, je me suis rendu compte que le quartier où je vis, Futako-Tamagawa à Tôkyô, se prêtait parfaitement à cette histoire. Du coup, j’ai beaucoup utilisé ce quartier pour le film. Bien sûr, c’était très pratique pour moi. A chaque fois que j’avais un doute sur un élément du décor, je n’avais qu’à enfourcher ma bicyclette pour aller me rendre compte sur place. Pour moi, le fait de travailler à partir de lieux réels me permet d’avoir en définitive bien plus d’idées et plus de liberté par rapport à l’histoire. Par exemple, l’épisode du tramway, qui n’existe pas dans le roman, est un élément que j’ai pu ajouter parce que c’est quelque chose qui a vraiment existé. La scène finale qui se passe sur le pont s’est également imposée à moi, car elle est aussi liée à un endroit qui existe vraiment. Un jour que je passais sur ce pont en vélo, je me suis arrêté et me suis rendu compte que c’était l’endroit idéal pour terminer le film. Pourtant, quand on arrive en haut de la montée sur ce pont, on ne se retrouve pas devant un paysage extraordinaire. Ce n’est pas un lieu exceptionnel en soi, mais, par rapport au film, je me suis dit que c’était le meilleur endroit parce que c’est un lieu où il y a quand même une vue dégagée avec ce flot continu de voitures. J’ai tout de suite pensé que j’avais trouvé le bon endroit pour conclure l’histoire.
Le thème de la famille est au cœur de Colorful.
H. K. : Je m’intéresse à cette thématique parce que la famille est un élément complexe au sein duquel les relations entre les individus sont particulièrement intéressantes à observer. La famille est aussi un sujet beaucoup plus riche que les relations entre amis ou entre collègues. On peut y trouver bien des éléments dramatiques qui enrichissent les histoires et à partir desquels j’ai envie de bâtir des films. Mon objectif avec les films d’animation ne consiste pas à décrire un monde fantastique. Ce qui m’importe, c’est de pouvoir décrire les rapports entre les individus. La famille s’y prête parfaitement. D’une certaine façon, on peut dire que le sujet que j’ai choisi par rapport à ce qui se fait en général dans l’animation relève de la fantaisie. (rires)
Après avoir vu Colorful, on se demande pourquoi vous n’avez pas été tenté de faire un film avec de vrais acteurs plutôt qu’un long métrage d’animation.
H. K. : Je n’ai jamais vraiment souhaité faire des films en prises de vue réelles, car c’est le film d’animation qui m’a toujours attiré. Je n’ai absolument pas de complexe à l’égard du cinéma classique. En même temps, depuis que je me suis lancé dans l’animation, lorsque je construis mes films, il m’arrive souvent d’avoir des images réelles qui me viennent en tête. Et lorsque je vois les rushs du film que je suis en train de réaliser, il m’arrive souvent de me dire “Ah oui, c’est vrai que je réalise un film d’animation”. (rires)
En définitive, vous faites de l’animation parce que les personnages sont plus faciles à travailler que de véritables acteurs ?
H. K. : Je n’ai rien contre l’idée de faire des films en prises de vue réelles. Mais compte tenu de mon caractère, je suis plus enclin à faire des films d’animation, car je dispose de plus de temps pour réfléchir sur chaque scène. La pression du temps est bien plus facile à gérer sur un film animé que dans un tournage classique. Par ailleurs, les personnages d’un film d’animation n’ont pas le vécu des véritables acteurs qui apparaissent dans d’autres rôles ailleurs. C’est un élément très appréciable, je pense. Et ça rend aussi les choses plus faciles.
Comment a été reçu Colorful au Japon ?
H. K. : Ce qui m’a frappé, c’est que le public qui est venu voir le film était plutôt composé d’adultes alors que je visais des spectateurs plus jeunes, des collégiens ou des lycéens. C’est un peu dommage. J’espère donc qu’en France, les gens qui viendront voir Colorful appartiendront à la même tranche d’âge que le héros.
Propos recueillis par Odaira Namihei
A voir :
Colorful de Hara Keiichi en avant-première à La Pagode 57 bis, rue de Babylone 75007 Paris, le 12 novembre à 10h30.
Sortie le 16 novembre. www.colorful-lefilm.fr
Le film à partager en famille :
Pendant des années, on a cru que le monde de l’animation américain se résumait à Walt Disney jusqu’au jour où l’on a bien voulu faire attention à d’autres studios comme Pixar ou Dreamworks. On retrouve la même attitude vis-à-vis des productions japonaises. Actuellement, le grand public ne jure que par le studio Ghibli et les œuvres de son illustre représentant Miyazaki Hayao. Pour l’anecdote, il faut rappeler que les films estampillés Ghibli sont distribués dans le monde par Buena Vista, filiale de Walt Disney…
Pourtant, l’univers de l’animation au Japon est très riche, mais malheureusement peu connu du grand public qui n’a encore réussi à s’ouvrir aux autres productions et à une génération de créateurs de grands talents comme Hosoda Mamoru (Summer wars, 2009), Shinkai Makoto (La Tour au-delà des nuages, 2004) ou encore Hara Keiichi (Un Eté avec Coo, 2007). Ce dernier revient justement avec Colorful, une œuvre forte et emblématique de la créativité du cinéma d’animation dans l’archipel. Adapté du roman éponyme signé Mori Eto, ce film illustre le talent d’un réalisateur qui a voulu montrer qu’avec un dessin animé on pouvait explorer de façon réaliste et juste un thème souvent abordé dans les films classiques : la famille.
A travers le regard de Makoto, un collégien mal dans sa peau, Hara entraîne le spectateur dans les méandres parfois compliqués des rapports parents-enfant tout en évoquant les difficultés de communication qui dominent nos sociétés. Il rappelle qu’il faut finalement peu de choses pour renouer le dialogue et construire des rapports simples. C’est ce que Makoto, du moins le nouvel esprit qui occupe le corps du collégien, va découvrir au fil de l’histoire. L’adolescent qui revient à la vie au début du film, grâce à la présence de cet esprit auquel on a donné une seconde chance, doit comprendre ce qui l’a amené à mettre fin à ses jours pour espérer poursuivre son existence. Hara Keiichi maîtrise parfaitement son sujet à tel point qu’on finit par oublier qu’on est face à un film d’animation. Ses personnages et ses décors sont d’un réalisme saisissant, ce qui donne encore plus de force à cette œuvre unique. Récompensé deux fois à Annecy, Colorful doit l’être encore une fois par le public qui se déplacera en masse, de préférence en famille, lors de sa sortie le 16 novembre.
O. N.