Prêt à tout expérimenter, le photographe est devenu une référence dans l’univers du livre gastronomique.
L’éclat de son œil est malicieux. Son sourire, rassurant. Mais ne vous fiez pas à cette apparence tendre. Saitô Yoshihiro dirige d’une main de fer la société d’édition et de marketing qu’il a créée il y a maintenant trente-six ans. Super Edition, implantée à Tokyo, compte une douzaine de livres et des photos publicitaires reconnus dans tout le pays. Depuis sept ans, Saitô Yoshihiro n’est plus seulement directeur artistique, il est également photographe. Ses clichés surprenants et atypiques ont retenu l’attention du chef français, Guy Martin, du Grand Véfour, à Paris. Ensemble, ils ont réalisé en 2009 L’art de Guy Martin, un ouvrage gastronomique ambitieux et luxueux aux allures baroques.
La photo, Saitô Yoshihiro est tombé dedans un peu par hasard. Début des années 2000, il souhaitait réaliser le premier livre de cuisine gastronomique de Super Edition avec la table Yonemura, une institution de Kyoto. Mais les contraintes étaient particulièrement fortes. “L’établissement est ouvert chaque jour de l’année sans exception. Le seul créneau disponible pour la prise de vue était le dimanche entre 11 h et 15 h. Jugeant la réalisation trop périlleuse, notre photographe nous a lâchés. J’ai donc décidé de prendre le relais”, se souvient-il. L’idée du livre était de retracer une année de la vie du restaurant par ses menus. Un travail de titan réalisé en un temps record. “La photographie culinaire exige généralement la réalisation de plusieurs assiettes, je n’en voulais qu’une. Aucun artifice. Conserver le côté éphémère de la fraîcheur, à l’image du sushi, sitôt confectionné, sitôt dégusté”, ajoute-t-il. Des saveurs intactes capturées sur papier glacé.
Publié en 2004, ce premier livre a rencontré un petit succès, remportant le Prix gourmand de Paris. L’audace de Saitô est saluée. Alors qu’il prend l’avion, Guy Martin, se voit remettre un exemplaire entre les mains. Impressionné, il veut rencontrer le photographe et lui confier la réalisation d’un livre consacré à son restaurant. “Guy Martin m’a donné carte blanche. Il m’a fait confiance”, confie le photographe. Avant la prise de vue, rien d’établi. En quelques minutes, clic-clac, c’est dans la boîte. Un travail dans l’urgence qui paie. Saitô Yoshihiro marche à l’adrénaline et n’a peur de rien. Les ustensiles volent, l’artiste coupe, broie, déchiquette. Schlack, schlack, c’est terminé, plat suivant ! Le résultat ? Le rosé de l’épaule d’agneau fraichement tranché, un cappuccino café-cacahuète qui déborde généreusement de sa tasse, un poisson passé à la moulinette… “Je commence par une photo d’ensemble, puis j’improvise ! Dans le déroulé des pages du livre, je fais le contraire. Je pars du détail pour arriver à l’assiette”. Le spaghetti en plastique se déroule et s’enroule avant de devenir assiette de pâtes géométrique. Une inspiration qui s’est rapidement transformée en échange culturel entre le photographe et le chef. “Après avoir vu les premiers clichés, Guy Martin a ajouté de nouvelles recettes. On a vu aussi apparaître des sobas”, se réjouit l’artiste.
Fort de cet ouvrage, Saitô Yoshihiro multiplie désormais les projets. Photographe attitré du comédien Ichikawa Kamejirô, célèbre notamment pour ses performances dans l’art du kabuki, il souhaite lui consacrer un recueil de photos. “Pour le photographier sur scène, j’utilise un appareil photo unique en son genre [cf. ci-contre] qui me permet de prendre deux clichés, de près et de loin simultanément, lors de ses prestations scéniques. Tout cet appareillage est enfermé dans une boîte pour protéger l’acteur du bruit, explique-t-il. Je réfléchis également à un livre de cuisine traditionnelle japonaise.”
Passionné d’art en tous genres, Saitô Yoshihiro dévore les livres qu’il achète en quantité. En février 2010, il a ouvert un café dans le quartier branché de Harajuku, à Tokyo. Baptisé Bibliothèque (en français, s’il vous plaît), l’établissement met à disposition les livres de sa société bien sûr, mais aussi bien d’autres ouvrages dédiés à la photographie, au design, à l’architecture, à la gastronomie, à la calligraphie japonaise, en passant par les travaux d’Helmut Newton ou les affiches de Savignac. Bibliothèque propose aussi des conférences (Rakugo, le métier de teinturier, etc. ) et des projections de films en japonais et en français. De quoi ravir les francophones et passionner les francophiles.
Johann Fleuri
Référence :
63 recettes photographiées de manière subtile et audacieuse. Un véritable livre d’art de 636 pages, relié avec les nappes du Grand Véfour et présenté dans un précieux coffret.
L’Art de Guy Martin, Guy Martin et Saitô Yoshihiro, Super Edition, 750 €.