Implantée à l’est de Tôkyô, l’entreprise est devenue en l’espace de quelques décennies un géant de taille mondial. Le gigantisme des installations industrielles de la marque illustre son poids économique. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Noda est une ville située au nord-ouest de la préfecture de Chiba. Elle occupe une bande de terre coincée entre les préfectures de Saitama et d’Ibaraki. A sa limite occidentale, juste de l’autre côté de la rivière, se trouve Kasukabe, célèbre pour avoir servi de décor au manga et à l’anime Crayon Shin-chan. Mais si Kasukabe est, dans l’esprit de tous, synonyme d’humour irrévérencieux et de blagues scatologiques, Noda est avant tout une ville d’affaires puisque c’est là que se trouve le siège de Kikkoman, la marque de sauce soja la plus populaire du Japon, dont les ventes annuelles ont atteint 468,1 milliards de yens l’an dernier.A certains égards, Kikkoman est au Japon ce que Coca-Cola est à l’Amérique et au reste du monde : une marque dont la popularité va au-delà du produit qu’elle vend. À l’instar de Coca-Cola, Kikkoman possède même sa propre bouteille de conception originale – un distributeur de table en verre qui, il n’y a pas si longtemps encore, se trouvait dans chaque maison et chaque restaurant. Mais la longue relation de Noda avec le shôyu va bien au-delà de Kikkoman.Tout au long du XVIIe siècle, la ville d’Edo s’est développée à un rythme effréné. Diverses industries ont prospéré dans la région du Kantô et les gens ont commencé à moins dépendre des marchandises qui devaient auparavant être transportées depuis la région du Kansai, au sud. Parmi les régions qui ont commencé à répondre à la demande inépuisable d’Edo en denrées alimentaires, les villes de Noda et de Chôshi dans la province de Shimôsa (actuelle préfecture de Chiba) sont devenues le centre de production de la sauce soja. Non seulement les plaines environnantes et le climat étaient propices à la culture du soja et du blé, mais deux grandes rivières, l’Edo-gawa et la Tone-gawa, les reliaient à la fois à la capitale shogunale et à la mer par voie fluviale.Cette région est devenue le berceau d’un nouveau type de sauce soja, de couleur foncée et riche en saveur, qui correspondait mieux aux goûts des habitants d’Edo. L’importante population masculine qui s’est installée dans la ville au XVIIe siècle préférait une sauce soja salée et forte en goût, et les brasseries installées à Noda et Chôshi étaient heureuses de leur rendre service. La nouvelle sauce, koikuchi, est rapidement devenue la préférée des habitants. Des classements des ventes similaires à ceux réalisés pour les lutteurs de sumo énuméraient périodiquement les sauces les plus populaires sur le marché d’Edo, et les producteurs de Noda et Chôshi étaient constamment en tête.La production de shôyu à Noda aurait été lancée entre 1558 et 1570 par un homme nommé Iida Ichirôbei qui vendait le produit à un seigneur féodal local. En 1661, Takanashi Hyôzaemon, le chef du village de Kamihanawa, a suivi l’exemple d’Iida, et un an plus tard, Mogi Saheiji a commencé à fabriquer du miso (la production de shôyu n’a été ajoutée qu’en 1764). Les Takanashi et les Nogi seront plus tard choisis comme producteurs de confiance par le shôgun.Tout au long du XVIIIe siècle, d’autres entrepreneurs ont ouvert leurs brasseries. En 1781, sept de ces familles ont créé un partenariat, et en 1887, elles ont formé l’Association de brassage de la sauce soja de Noda. Enfin, en 1917, huit familles liées aux Mogi, Takanashi et Hori-kiri ont conjointement créé la Noda Shôyu Co, Ltd. pour augmenter leur capital et moderniser l’industrie de la sauce soja. Cette société a ensuite été rebaptisée Kikkoman Co., Ltd.Une visite à Noda révèle une ville dont la vie, aujourd’hui plus que jamais, tourne autour de la sauce soja. La présence de Kikkoman est bien sûr omniprésente (les drapeaux et les panneaux publicitaires du nom de l’entreprise sont pratiquement accrochés à tous les murs et à tous les lampadaires), mais Noda est également le siège de deux autres entreprises établies de longue date qui ont choisi de ne pas se joindre au partenariat initial : Kinoene Shôyu Co., Ltd. (fondée en 1830) et Kubota Miso Shôyu Co., Ltd. (1925).La ville elle-même est une banlieue industrielle typiquement terne et il faut un certain temps pour s’habituer à l’odeur omniprésente et collante du shôyu. D’un autre côté, la zone située à l’ouest de la gare de Nodashi est pleine d’architecture historique. Noda a survécu indemne à la guerre du Pacifique et on peut aujourd’hui visiter de nombreux bâtiments liés à l’industrie locale, notamment les résidences des riches marchands qui ont fait fortune avec la sauce soja....