Au cœur de l’un des quartiers les plus populaires et au sommet d’une tour hors norme, découvrez le monde d’Oda Eiichirô.
Au Japon, chaque nouveau volume de la saga One Piece est attendu avec une impatience non dissimulée. Les Japonais sont devenus accros aux personnages imaginés par Oda Eiichirô. Son éditeur, Shûeisha, se frotte évidemment les mains, car les ventes de chaque tome se comptent par millions d’exemplaires. Désormais, le tirage initial pour les aventures du capitaine Monkey D. Luffy et de son équipage est au minimum de quatre millions d’exemplaires. De quoi donner le sourire d’autant que l’histoire prépubliée dans le magazine Shônen Jump permet à ce dernier de maintenir de très bonnes ventes au moment où ses concurrents ont bien du mal à enrayer l’érosion de leur lectorat. Cette réussite extraordinaire rappelle celle de Dragon Ball dont Oda Eiichirô revendique la filiation. Pour l’expliquer, il faut se souvenir des trois principes du magazine Shônen Jump : effort (doryoku), victoire (shôri) et amitié (yûjô). Pour être publié dans ses colonnes, il faut qu’une série possède au moins une de ces caractéristiques. A l’instar de Dragon Ball, One Piece est doté des trois, assurant ainsi son universalité et son succès auprès d’un public assez large. Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, cette série n’est pas réservée au public le plus jeune. Certes les enfants peuvent s’identifier à ces personnages hauts en couleurs dont le comportement parfois loufoque ne manque pas d’une certaine drôlerie.
L’humour très présent est évidemment un atout majeur, mais c’est surtout la camaraderie (nakama) qui imprègne l’ensemble de l’œuvre et permet ainsi de transcender les générations. Au Japon, cette notion est très importante, car elle est à la base de la plupart des rapports entre les individus. Elle est devenue d’autant plus importante ces derniers mois à la suite des événements du 11 mars 2011. Résultat, lorsqu’on examine la répartition des lecteurs de One Piece par tranche d’âge, on a quelques surprises. Les moins de 12 ans représentent 3 % des acheteurs, les 13-18 ans 10,5 %, les 19-29 ans 37,4 %, les 30-49 ans 36,9 % et les plus de 50 ans 12,2 %. En d’autres termes, aucun segment de la société n’échappe à l’influence de ce manga qui désormais se décline au cinéma, dans les jeux vidéo ou à la télévision. One Piece, c’est aussi une exposition qui se déroule jusqu’au 17 juin prochain à la Mori Arts Center Gallery, dans le quartier de Roppongi, longtemps considéré comme un endroit peu fréquentable en raison de sa vie nocturne agitée qui était liée à la présence de soldats américains. Les boîtes de nuit, la drogue et l’alcool ont contribué à donner à cet endroit une image plutôt négative. Cela a nettement changé ces dernières années avec l’arrivée de nouveaux ensembles d’une grande audace architecturale à l’instar du National Art Center ou de Roppongi Hills. Ce dernier complexe est devenu un lieu de promenade des Tokyoïtes qui en apprécient justement l’inventivité recherchée par les architectes. La Mori Tower et ses 54 étages est justement le phare de cet ensemble. Imaginée par l’agence américaine Kohn Pedersen Fox, elle est beaucoup visitée, car elle propose au 52ème étage le Tokyo City View (9 h~1 h, 1500 yens), un atrium circulaire qui permet d’avoir une vue assez extraordinaire sur la capitale japonaise. Lorsqu’il fait beau et que le ciel est bien dégagé, on peut voir apparaître le mont Fuji. Mais c’est le soir que la vue est la plus bluffante. La cité illuminée est tout simplement magnifique. C’est le lieu idéal pour faire des photographies que vos amis vous envieront. Les Japonais se bousculent donc à cet étage pour profiter de cette vue exceptionnelle. Il est probable qu’ils seront un peu plus nombreux encore tout au long de ce printemps 2012 puisque One Piece Ten [Exposition One Piece] se tient à la Mori Arts Center Gallery. Situé au même niveau que le Tokyo City View, cet espace d’expositions temporaires profite bien évidemment du caractère attractif de la vue panoramique sur la capitale pour assurer une bonne fréquentation. Il va sans dire que l’exposition One Piece conçue par Oda Eiichirô va attirer un surcroît de visiteurs au cours des trois prochains mois. Ouverte le 20 mars dernier, il était assez étonnant de voir que le public présent était surtout féminin et relativement âgé. “Je suis particulièrement intéressée par l’importance donnée aux liens d’amitié dans cette histoire”, explique une femme d’une quarantaine d’années. C’est un point qui est mis en avant dans cette manifestation et qui conforte ainsi l’attachement des visiteurs à l’égard de la saga. Sur la plupart des planches qui sont exposées dans une sorte de long couloir que l’on emprunte pour s’imprégner de l’atmosphère qui règne dans l’histoire, le terme nakama revient très souvent comme celui de tomodachi (ami). C’est la première étape de l’exposition qui se poursuit par l’exploration des produits dérivés de la fameuse série. Au-delà du manga lui-même et de ses millions d’exemplaires vendus, One Piece, c’est aussi l’animation et le jeu vidéo, lesquels constituent des œuvres d’art à part entière. C’est la raison pour laquelle la Mori Arts Center Gallery insiste également sur ces aspects qui apportent un peu de couleurs à un univers essentiellement noir et blanc (manga oblige). L’idée est de donner un peu de vie à des personnages de papier. Le recours à des animations multimédias favorise cette perception et on se laisse prendre au jeu. Conçue comme un parcours ludique, One Piece Ten est une exposition très réussie qui ravira les fans, mais intéressera aussi les personnes qui connaissent mal l’univers d’Oda Eiichirô. Cela n’en fera peut-être pas des lecteurs invétérés du manga ou des inconditionnels des films d’animation, mais elles auront l’impression d’avoir appris des choses. N’est-ce pas l’objet de la plupart des expositions organisées à travers le monde ? Les enfants ne sont pas oubliés avec un mur d’images interactif qui leur permet de déplacer virtuellement les personnages et de construire leur propre déroulé de l’histoire. Ils peuvent ensuite se laisser entraîner grâce à la magie de la technologie dans une espèce de long tunnel en compagnie de tous les héros. De quoi passer un moment très agréable. Et comme One Piece est également un excellent produit d’appel, les organisateurs de l’exposition ont évidemment pensé aux souvenirs estampillés One Piece. Du T-shirt au sac en tissu, en passant par les cartes postales, le bandana ou le mug, de 500 à 7500 yens, il y en a pour toutes les bourses. D’une manière ou d’une autre, vous serez aussi emporté dans cet univers chaleureux et festif du manga le plus populaire de l’archipel.
Gabriel Bernard
Exposition :
One Piece Ten, Mori Tower, 52ème étage.
Ouvert tous les jours de 10 h à 22 h.
Entrée : 2000 yens (1500 yens 12-18 ans, 800 yens pour les moins de 12 ans). http://onepiece-ten.com
S’y rendre :
Mori Tower, 6-10-1, Roppongi, Minato-ku, Tôkyô 106-6106. En métro, emprunter les lignes Hibiya ou Toei Ôedo et descendre à Roppongi ou Azabu Jûban.
www.mori.co.jp/en/projects/roppongi/art_cultural.html
Un succès planétaire
Si l’engouement des Japonais pour les aventures du capitaine Monkey D. Luffy est indéniable, il l’est tout aussi fort au-delà des frontières de l’archipel. Le phénomène One Piece est international et suscite une ferveur incroyable dans de nombreux pays où l’on attend avec impatience la sortie de chaque nouveau volume. En France, c’est l’éditeur grenoblois Glénat qui a gagné le jackpot. En mai 2011, l’éditeur français a annoncé que le manga signé par Oda Eiichirô était devenu la série la plus vendue dans l’hexagone devant Naruto qui a longtemps tenu la tête. Depuis sa sortie sur le territoire français en 2000, le manga s’est vendu à plus de 6 millions d’exemplaires. Du côté de l’animation, c’est Kaze qui assure la distribution de la dizaine de films adaptés de la série. Le 24 août dernier, l’éditeur en partenariat avec Eurozoom avait sorti dans les salles obscures One Piece Strong World, la dixième adaptation, sans doute la meilleure dans la mesure où elle a été supervisée par Oda Eiichirô à la différence des films précédents. Il en a écrit l’histoire et dessiné les personnages, une implication qui justifie le déplacement. Par ailleurs, et cela s’adresse déjà aux amateurs de la série, ce film crée un lien avec le manga original. Ailleurs dans le monde, on retrouve le même intérêt pour l’histoire. Lors du lancement du mouvement Occupy aux Etats-Unis, on a ainsi pu voir parmi les manifestants des personnes déguisées en capitaine Luffy et ses compagnons. Une influence qui s’explique par la très bonne réception de la série sur le territoire américain. One Piece est la pièce maîtresse de ce qu’on appelle le Japan Cool et que les autorités défendent avec vigueur, car cela contribue à donner une bonne image du Japon dans le monde. Le rythme de publication est quasiment le même qu’au Japon afin de répondre à la demande massive des fans dont le nombre ne cesse de grossir d’année en année. Un phénomène auquel il est difficile d’échapper.
Gabriel Bernard